mardi 30 novembre 2010

Inimitable Nerval !

[à écouter]
................Lamento..............

Dans la forêt lointaine où résonne un hibou,
J’entends la rime ancienne… et l’appel du coucou.
Las ! ma chandelle est morte, et je n’ai plus la flamme
De surmonter les deuils qui me désolent l’âme.

Mes aimés sont partis, un jour, je ne sais où
Pour assagir – sans doute – un monde à demi fou…
Me laissant seul sur place en proie aux longues heures
Qui pétrifient l’espace où s’enfouit ma demeure.

Alors se sont figés les lents balancements
De ma rose trémière en deuil de firmament !
Ma vie n’est plus depuis qu’un songe d’existence

Que bercent quelquefois, les soirs de peine immense,
La vague de rumeurs des feuilles dans le bois
Et la brume qui pleure où se perdent des voix.
[1848-50 ?]

vendredi 17 septembre 2010

L’homme est un loup pour l’homme. Vraiment ?


● Cet aphorisme, issu de Plaute, fut rendu célèbre par Hobbes (après Érasme), qui en fit l'un des postulats de son essai Le Léviathan (1651), bien que la formule elle-même n'y figure pas. Pour Hobbes, l'état de nature est pour les hommes un état de "guerre de tous contre tous". Le problème, c’est que ce pessimisme radical est une trahison de la pensée de Plaute, lequel fait dire au personnage de sa comédie : « L’homme est un loup pour l’homme, et non un homme, quand il ne sait pas à qui il a affaire. » Le complément « quand il ne sait pas à qui il a affaire » relativise en effet nettement la proposition originelle, au point de l'inverser!
Au royaume des citations, il convient donc d'être prudent. Cet exemple est l'un de ceux qui méritaient quelque rectification dans le livre de Références culturelles dont j'ai annoncé la nouvelle édition en juin 2010. En voici une quinzaine d’autres :

● La très sage maxime Aide-toi, le Ciel t’aidera n’est pas une parole du Christ dans l’Évangile mais de Hercule dans la fable de La Fontaine « Le Charretier embourbé ».
● Descartes a emprunté son Je pense donc je suis à saint Augustin qui avait écrit (plus subtilement) : Si je me trompe, [c’est que] je suis.
● Le célèbre précepte de F. Bacon On ne commande à la nature qu’en lui obéissant décalque le proverbe latin Une femme vertueuse commande à son mari en lui obéissant.
● Voltaire n’a jamais écrit : Je ne suis pas d’accord avec vos idées mais je me battrai jusqu’au bout pour que vous puissiez les exprimer. Il s’agit là d’un faux notoire.
● C’est également par erreur que l’on prête à Marie-Antoinette la formule S’ils n’ont pas de pain, qu’ils mangent de la brioche. Celle-ci était connue bien avant la Révolution.
● Si Montesquieu a écrit Le mieux est le mortel ennemi du bien… il a aussitôt biffé cette sentence qu’il trouvait excessive !
● Alfred de Musset est l’auteur de l’axiome Les grands artistes n’ont pas de patrie… que Marx appliqua par la suite aux prolétaires.
● Le précepte La politique est l’art du possible n’est ni de Gambetta ni de Richelieu, mais de Bismarck qui a déclaré plus exactement La politique est l’art des possibles… ce qui n’est pas la même chose !
● C’est la pédagogue suédoise Ellen Key qui est à l’origine (presque mot pour mot) de l’aphorisme La culture est ce qui reste quand on a tout oublié. On l’attribue à tort à Édouard Herriot, qui précisa pourtant qu’elle provenait d’un auteur étranger…
● Simone de Beauvoir et Louis Aragon ont pastiché sans vergogne des auteurs qui les ont précédés, puisque Tristan Bernard a publié en 1899 un récit intitulé Mémoires d’un jeune homme rangé et que Francis Ponge a écrit en 1944 L’homme est l’avenir de l’homme
● Quand Churchill proclame : La démocratie est le pire des régimes à l’exception de tous les autres, il s’inspire directement du brésilien Ruy Barbosa qui disait : La pire des démocratie est bien préférable à la meilleure des dictatures.● On attribue à Gramsci l’idée qu’il faut allier l’optimisme de la volonté au pessimisme de l’intelligence. En réalité, Gramsci cite son ami Romain Rolland, auquel il a emprunté l’antithèse.
● Quand il déclarait : Il faut donner du temps au temps, Mitterrand citait un proverbe séculaire, attesté dès le 17ème siècle, qui figurait déjà dans Don Quichotte, et lui était antérieur.
● C’est enfin Laurent Fabius qui, à propos de certaines élections, eut le mot : J’y pense parfois, en me rasant. Nicolas Sarkozy ne fit que démarquer la formule en déclarant qu’il y pensait tout le temps. C’était en 2003…

Ce n’est là qu’un échantillon !

B. H.

dimanche 13 juin 2010

Révisez vos Références culturelles… et politiques ! (2003-2010)




Cette nouvelle édition, revue et augmentée, vient de paraître chez Ellipses. Voici quelques précisions au sujet d’un travail auquel j’ai consacré près de 1500 heures…

Point de départ. Cet ouvrage s’inscrit dans le prolongement du Dictionnaire portatif. En collectant les mots indispensables au savoir du futur bachelier, j’ai cru devoir retenir certaines expressions dont le lecteur, même s’il en connaît les termes, n’en saisit pas pour autant le sens global. En voici un échantillon : éminence grise, opium du peuple, violon d’Ingres, état de grâce, écharpe d’Iris, enfant prodigue, bouc émissaire, coup de Jarnac, doute méthodique, cinquième colonne, mal du siècle, socialisme à visage humain, libre arbitre… Dans chaque cas, l’étudiant ne peut comprendre que s’il connaît le champ culturel – mythologique, religieux, littéraire, historique, politique, philosophique – d’où est issue l’expression, et auquel elle renvoie : il s’agit bien d’une référence culturelle.
Ces références sont d’autant plus délicates à dépister qu’elles prennent parfois la forme d’allusions que seuls les initiés peuvent reconnaître. En mai 2010, je lis par exemple ce titre de journal, au sujet de la Grèce en pleine crise économique : La cigale athénienne et la bise des marchés. Impossible de comprendre si l’on n’a pas en mémoire la Fable fameuse de La Fontaine: «La Cigale ayant chanté / Tout l’été / Se trouva fort dépourvue / Quand la bise fut venue, etc. ».
Par cette allusion, l’auteur fait des citoyens grecs des consommateurs insouciants que vient punir la froide réalité des marchés, - interprétation pour le moins tendancieuse, puisqu’elle innocente les spéculateurs de la finance internationale en assimilant leur prédation à un phénomène météorologique. Ainsi joue-t-on des références !

Première édition (2003). Lorsque les éditions Ellipses m’ont proposé d’écrire un ouvrage de culture s’inscrivant dans le sillage du Dictionnaire portatif, en 2002, j’ai sauté sur l’occasion qui m’était donnée de faire un vaste recensement de ces locutions-références (qui ne pouvaient pas trouver place dans mon « portatif »).
Ce qui compliquait la tâche, c’est qu’il existe divers degrés dans les formules, expressions, ou phrases méritant d’être retenues comme références, en fonction de leur usage ou de leur valeur propre, soit :
- de simples groupes de mots (cf. l’échantillon de locutions énumérées plus haut)
- des proverbes ou sentences proverbiales (Le mieux est l’ennemi du bien, Lâcher la proie pour l’ombre)
- des allusions à des formules connues (« Selon que vous serez puissant ou misérable… » ; On ne naît pas X, on le devient)
- de multiples citations enfin, jugées « incontournables » ou « devant être connues », selon la « culture » qu’on attend des candidats aux concours ou des « humanistes » de profession : pensées profondes, aphorismes étincelants, fleurs de poésies, mots historiques, phrases politiques plus ou moins mémorables...
Comment ne rien omettre ? Comment échapper à la stupeur d’avoir oublié telle ou telle maxime jugée essentielle à la survie de la République des Lettres ?
J’ai humblement exploré les domaines suivants : la mythologie gréco-romaine ; les locutions et proverbes latins ; les références judéo-chrétiennes ; les mots historiques ; les citations littéraires (deux chapitres, du Moyen Âge au XXe siècle) ; les sentences ou formules philosophiques, et aussi politiques… J’ai fait précéder ces investigations d’un grand test introductif, en cent questions regroupant les expressions-références les moins discutables. Et j’ai ajouté en fin d’ouvrage, un grand « fourre-tout » extensible à l’infini, pour me donner l’impression d’atteindre asymptotiquement l’inaccessible exhaustivité…
Avec 284 pages bien tassées, nourries de questions espiègles et d’explications minimales, le livre couvrait déjà plus de mille expressions !

L’édition présente (2010). Naturellement, ce type d’ouvrage – aussi apprécié soit-il – est par nature inachevé. Une fois le livre publié, je suis resté à l’affût de tout ce qui manquait, sans parler de ma honte d’avoir parfois laissé passer certaines erreurs. Dans l’ordre de la transmission culturelle, il est impossible de vérifier tout ce que l’on propage : il faut bien faire confiance à l’autorité de prédécesseurs fort qualifiés, et reprendre de bonne foi leurs propres erreurs, notamment en ce qui concerne l’exactitude et les sources précises des mots que l’on cite. Dans cette recherche, j’ai dû souvent recourir à « Internet » à mes risques et périls, compte tenu de l’incroyable approximation qui règne dans tous les relevés de citations (et de leurs sources) ; mais je n’en ai pas abusé. Pour peu que l’on ait suffisamment de prudence, et que l’on n’accepte de ne retenir que ce que l’on a « vu de nos yeux vu », on peut trouver parfois dans les failles ou contradictions d’Internet des indices utiles menant à la vérité… Le Net est de nos jours la plus précieuse des sources d’erreurs!
À côté de cette intraitable rigueur, qui m’a conduit à rectifier un bon nombre de confusions courantes, cette nouvelle édition s’enrichit de plus de 300 références, toutes répertoriées dans l’Index, avec renvoi aux pages où elles sont replacées dans leur contexte, aussi brièvement que possible. En particulier, dans un nouveau chapitre intitulé « La République des petites phrases », j’ai recensé la plupart des formules politiques des 30-40 dernières années, auxquelles souvent les médias font référence (et notamment Le Canard enchaîné). D’où l’ajout : « … et politiques ! », qui complète le titre originel du livre – lequel compte maintenant plus de 1500 références, et 384 pages.

Bon appétit à tous !


B.H.